C’est la première fois que je le relis un de mes livre favoris, Le parfum, de Patrick Süskind, depuis qu’Edgar est né.
Le fait d’être maman donne à certains passages tout leur sens, comme cet extrait au cours duquel la nourrice, Jeanne Bussie, ramène Jean Baptiste Grenouille, alors nourrisson, au monastère, le jugeant possédé par le diable. Elle essaie d’expliquer pourquoi au moine.
Toutes les mamans et les papas, et ceux qui aiment les enfants, se retrouveront dans ces mots:
(…)
– Non, dit la nourrice, mes enfants ont l’odeur que doivent avoir des enfants d’homme.
…/…
– Tu prétends donc savoir quelle odeur doit avoir un enfant d’homme, qui malgré tout est aussi (je te le rappelle, d’autant qu’il est baptisé) un enfant du Bon Dieu ?
– Oui, dit la nourrice.
– Et tu prétends de surcroît que s’il n’a pas l’odeur que tu penses qu’il devrait avoir, toi, la nourrice Jeanne Bussie, de la rue St Denis, c’est qu’alors c’est un enfant du Diable ?
…/…
– Ce n’est pas ce que je voulais dire, répondit-elle en faisant machine arrière. Si cette affaire a ou non quelque chose à voir avec le diable, c’est vous qui devez en décider, père Terrier, ce n’est pas dans mes compétences. Je ne sais qu’une chose, c’est que ce nourrisson me fait horreur, parce qu’il n’a pas l’odeur que doivent avoir les enfants.
– Ah ! ah ! dit Terrier satisfait en laissant retomber son bras comme un balancier. Sur cette histoire de diable, nous nous rétractons donc. Bien. Mais alors, aurais tu l’obligeance de me dire quelle odeur a donc un nourrisson quand il a l’odeur que tu crois qu’il doit avoir ? hein ?
– Une bonne odeur, dit la nourrice.
– « Bonne », ça veut dire quoi ? cria Terrier à la figure de la femme. Il y a bien des choses qui sentent bon. Un bouquet de lavande sent bon. Le pot-au-feu sent bon. Les jardins de l’Arabie sentent bon. Comment sent un nourrisson, je voudrais bien le savoir !
La nourrice hésitait. Elle savait bien quelle odeur avait les nourrissons, elle le savait parfaitement bien, ce n’est pas pour rien que par douzaines elle en avait nourri, soigné, bercé, embrassé… Elle était capable, la nuit, de les trouver rien qu’à l’odeur et, à l’instant même, elle avait très précisément cette odeur de nourrisson dans le nez. Mais jamais encore elle ne l’avait désignée par des mots.
– Eh bien ? aboyait Terrier en faisant claquer le bout de ses ongles.
– C’est que, n’est ce pas, commença la nourrice, ce n’est pas très facile à dire, parce que… ils ne sentent pas partout pareil, quoiqu’ils sentent bon partout, mon Père, vous comprenez… Prenez leurs pieds, par exemple, eh bien, là ils sentent comme un caillou lisse et chaud; ou bien non, plutôt comme du fromage blanc… ou comme du beurre, comme du beurre frais, oui, c’est ça : ils sentent le beurre frais. Et le reste du corps sent comme… comme une galette qu’on a laissé tremper dans le lait. Et la tête, là, l’arrière de la tête, où les cheveux font un rond, là, regardez, mon Père, là où vous n’avez plus rien…
Et comme Terrier, médusé par ce flot de sottises minutieusement détaillées, avait docilement incliné la tête, elle tapotait sa calvitie.
– … c’est là, très précisément qu’ils sentent le plus bon. Là, ils sentent le caramel, cela sent si bon, c’est une odeur si merveilleuse, mon Père, vous n’avez pas idée ! Quand on les a sentis à cet endroit là, on les aime, que ce soient les siens ou les enfants des autres. Et c’est comme ça et pas autrement, que doivent sentir les petits enfants. Et quand ils ne sentent pas comme ça, quand là haut derrière la tête ils ne sentent rien du tout, encore moins que l’air froid, comme celui-là, ce batard, alors… Vous pouvez expliquer ça comme vous voulez, mon Père, mais moi… Et elle croisa résolument les bras sous ses seins en jetant sur le panier qui était posé à ses pieds un regard aussi dégouté que s’il avait contenu des crapauds.
« … moi, Jeanne Bussie, je ne reprendrai pas ça chez moi ! »
Lisez ou relisez-le! et bon dimanche!
suze83 dit
Incroyable, je lis le même livre en ce moment!!
Ève dit
Une valeur sûre! ;)